Définir sa culture d’entreprise, une question de survie.

Toinon de Waalaxy
12 min readFeb 16, 2023

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Dans un contexte de grande démission, avec un monde du travail bouleversé par le Covid et une relation à l’entreprise différente pour les nouvelles générations, la culture d’entreprise est devenu un élément central de politique RH.

Cet article n’aura pas prétention de dépeindre des tendances générales ou de donner un modèle à suivre.

Il s’agit plutôt de documenter, tel un explorateur, l’aventure dans une vision d’un monde du travail peu conventionnel.

Et de proposer un nouvel angle de vue, qui j’espère, en inspirera certains.

Qu’est ce qu’une culture d’entreprise ?

Avant de commencer, je préfère qu’on soit d’accord sur les termes. Voici comment il est communément admis de définir une culture d’entreprise.

Une culture d’entreprise est une combinaison de principes, de valeurs et de croyances qui définissent un modèle de comportement au sein d’une organisation.

Elle détermine la façon dont les employés interagissent les uns avec les autres et comment ils gèrent les relations avec les clients et les partenaires.

Ce que n’est pas une culture d’entreprise :

  • Une liste de 17 valeurs sur un Google Doc.
  • Des phrases sur des murs.
  • Un discours du CEO.
  • Un babyfoot.

Pour moi, une culture d’entreprise se définit plutôt par :

  • La manière dont les employés sont traités par leur manager.
  • Ce que disent les talents leur boite en soirée avec des potes.
  • Les 3 premiers mots qu’une personne extérieure utilise quand elle rentre dans une pièce avec 30 personnes de la boite.

Un peu de contexte

Waalaxy est une startup Montpelliéraine d’une quarantaine de salariés, qui développe un logiciel de prospection automatisée sur Linkedin et par email.

N°1 au monde sur son marché avec 100k+ utilisateurs en moins de 4 ans, on génère près de 8M€ de revenus annuels, et ce, sans avoir levé de fonds.

L’âge moyen est de 26 ans avec une parité à quasi 50–50.

Ces informations paraissent anodines, mais elles prennent tout leur sens dans la suite. 😉

La culture Waalaxy : entre bien-être et performance

Lorsqu’on a monté la boite, on n’avait à peu près aucune idée de ce qu’était une culture d’entreprise, de comment la développer et la définir.

Mais on avait un truc en tête : on voulait créer une boîte dans laquelle on aurait aimé être salariés.

Les deux piliers : bien-être et performance.

Partant de cette idée, on a développé le cadre de travail autour de deux axes : le bien-être et la performance.

On voulait créer un environnement favorable à la productivité, où on peut accomplir de grandes choses, mettre à profit ses compétences, permettre à chacun d’apporter de la valeur, tout en s’amusant dans un cadre souple, sans prise de tête.

  1. Bien-être

On entend par bien-être un confort psychologique et matériel.

Matériel, c’est avoir tout ce qu’il faut pour travailler dans de bonnes conditions. Setup de bureaux, écrans, espaces de travail agréables.

C’est aussi être remunéré confortablement, avoir des avantages financiers (plan d’épargne, tickets restos, forfait mobilité, accès à l’actionnariat par BSPCE).

Psychologique c’est se sentir bien quand on va travailler. Ca passe par un management bienveillant, prendre du plaisir avec ses collègues, être valorisé pour ses compétences et pouvoir être qui on est vraiment, sans porter de masque.

En revanche, l’entreprise n’a pas vocation à rendre heureux ses talents. Elle doit les aider à “être bien”.

Le bonheur, lui, est une quête personnelle.

2. Performance

La performance, c’est maximiser la valeur apportée. Elle sert le propos de l’entreprise (se développer) mais aussi l’individu. Etre bon dans ce qu’on fait procure du plaisir, il nous valorise. Etre à la pointe de la technologie, tester des choses, apporter de nouvelles idées. Tout ça contribue à la croissance de l’entreprise mais aussi au plaisir que chaque talent tire de travailler.

La performance se mesure par la quantité de valeur apportée. Les compétences, le temps de travail, les efforts et l’expérience sont des leviers de performance.

Pas des manières de la définir ou la mesurer.

6 valeurs clefs

Des deux piliers, découlent 6 valeurs clefs, étroitement liées.

Chaque valeur s’illustre par une phrase et une liste de valeurs connexes.

➡️ 1) Bienveillance

“J’agis avec de bonnes intentions.”

Oui, on est un peu dans le monde des bisounours. Mais pour nous c’est essentiel : agir sans chercher à blesser contribue au confort psychologique.

Or, un cerveau reprimé est un cerveau sans créativité.

Valeurs connexes : Kindness, Considération, Respect, Authenticité

➡️ 2) Exécution

“Imparfait est mieux que pas fait.”

Photo prise dans nouveaux bureaux. On a passé plus d’un an sans cloisons parce qu’on n’avait pas les fonds pour les travaux.

Ou “Make it work then make it better”. En tant que startup auto-financée, on a une obsession : chercher les effets de leviers.

Pour ça, on applique la loi de Pareto à l’extrême : 20% des actions donnent 80% des résultats.

Alors on essaie de trouver les 5x20% qui donneront 400% de résultats.

Valeurs connexes : Efficience, Vélocité, Action

➡️ 3) Liberté

“Le talent s’exprime lorsqu’il est libre de l’être”

Un des fondateurs, pranké avec un bureau entièrement emballé de papier cadeau..

Dans un environnement libre, le cerveau peut divaguer. C’est dans cette divagation qu’il trouve les meilleures idées.

En laissant un maximum de libertés aux équipes :

  • on favorise les nouvelles idées originales
  • on réduit le stress des équipes qui ne sentent pas “surveillées”
  • on réduit le stress des managers qui n’ont pas “à surveiller”
  • on valorise que les talents sont des adultes responsables

Valeurs connexes : Autonomie, Confiance

➡️ 4) Ownership

“J’ai le pouvoir de maximiser la valeur que j’apporte”

On n’a pas d’objectif. Pas d’Objective Key Results.

On considère que si les bonnes informations sont partagées, un talent est meilleur que son manager à définir où il a de la valeur.

“Lead with context, not control”.

Chacun peut et doit chercher à maximiser la valeur qu’il apporte en questionnant en permanence sa TODO et ses missions. Il est responsable de ce qu’il produit, en bien ou en mal.

Valeurs connexes : Responsabilité, Fiabilité

➡️ 5) Insolence

“S’amuser est la compétence la plus sous-côtée du monde professionnel”

Soirée Haloween chez Waalaxy.

Les règles sont faites pour être transgressées. Les normes pour être bouleversées. La statu quo pour être éclaté.

Ce n’est pas parce que personne ne le fait qu’on ne peut pas le faire.

En faisant comme les autres, on obtient les mêmes résultats.

Pour réussir il faut être remarqués. Pour être remarqués, il faut être remarquable.

Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.

Si personne ne te déteste, ce que c’est que tu fais/dis n’a aucun intérêt.

Cette dynamique s’applique autant à ce qu’on fait dans l’entreprise (journées grenouillères, hammam au bureau…) qu’à notre approche du business. C’est probablement la valeur la plus forte.

Valeurs connexes : Originalité, Amusement, Célébration, Fun

➡️ 6) Honnêteté

“Dis ce que tu penses et pense ce que tu dis”

Dans un environnement aussi chaotique que la startup, l’honnêteté est indispensable. Elle permet d’éviter la grangène des manoeuvres politiques. Elle favorise le feedback et donc l’amélioration. Elle réduit le risque de “blind spot”.

Valeurs connexes : Franchise

Tu peux trouver plus de détails sur notre culture, dans notre Culture Deck, illustré d’exemples de photos.

Les limites de notre culture ?

L’importance de la culture, à chaque étape.

La culture, comme vecteur de résilience.

La culture d’une entreprise définit le “pourquoi”.

Pourquoi, en tant que talent, je suis dans cette boite.

Elle développe notre sentiment d’appartenance et connecte avec nos valeurs personnelles. Elle se vit dans les tripes, pas dans la tête.

Or, l’environnement startup est chaotique. Notre métier consiste à résoudre des problèmes en permanence, dans un environnement mouvant plein d’imperfection.

Les erreurs arrivent tous les jours. Les frustrations sont permanentes.

La culture est un pilier de résilience de l’entreprise. Elle lui donne sa capacité à encaisser et se remettre des situations les plus critiques. Elle lui offre une marge de manoeuvre colossale dans l’adversité.

Pour illustrer ce point, je vais raconter un passage assez noir de notre histoire.

En mai 2021, Linkedin propage une mise à jour qui limite l‘envoi d’invitations à 100 par semaine par personne. Alors même que notre activité se basait sur un envoi de 500 par semaine, la valeur de notre outil est divisée par 6.

On est en pleine transition entre deux version de notre produit. La boite n’est pas encore structurée en équipes. Il n’y aucun process.

Et cette situation menace notre survie.

Alors qu’on aurait pu voir tout le monde commencer à chercher un nouveau job et se désengager de cette situation stressante, c’est l’opposé qui s’est produit. L’équipe entière, sans consigne de notre part, s’est attelée à la tâche. Chacun est allé au front, sur son sujet, pour tenter de sauver l’entreprise. Sans compter les heures.

Quelque chose de très fort s’est produit à ce moment là. Sans notre culture, Waalaxy n’aurait jamais survécu.

Elle donne cette envie à chacun de se dépasser pour un projet commun. En tant qu’entrepreneur, c’est la plus belle chose qui puisse arriver.

La culture : un règlement implicite des interactions humaines ?

J‘aime comparer le recrutement dans une culture forte à une greffe.

La culture est un organisme et chaque nouvelle personne vient s’ajouter à l’organisme. Cet organisme agît selon ses règles et va s’autoréguler de manière naturelle.

Celui qui ne respecte pas les règles est immédiatement rejeté.

Culture forte : atout d‘attraction, de sélection et de rétention des talents.

Enfin, une culture forte est un atout indispensable dans une politique RH.

Elle permet d’attirer des profils qui correspondent à l’état d’esprit, d’éliminer par rejet du groupe ou par évidence des profils qui n’auraient pas leur place.

Et elle permet de garder les talents, qui appartiennent désormais à un groupe, en accord avec leurs valeurs. Partir, c’est risquer de sentiment d’appartenance à ce groupe sans le retrouver ailleurs.

Définir sa culture : pourquoi et comment ?

Le risque de division

Dans son bestseller Sapiens, Yuval Noah Harari nous explique que dans la nature, une tribu dépasse rarement les 150 individus. Au délà, il n’est pas possible pour chaque un individu de connaître les autres personnellement. La confiance n’est plus suffisante pour maintenir la cohésion du groupe et il se divise.

Homo Sapiens lui a su créer des groupes de millions de personnes à travers le monde, grâce une chose simple : les croyances.

Bien que Waalaxy n’ait même pas encore atteint les 50 individus, j’ai remarqué durant la dernière année que certaines personnes n’avaient aucun contact avec d’autres. N’étant pas une tribu, passant 100% de son temps ensemble et liée en partie par le sang, on s’est dit que la “division du groupe” pourrait arriver plus tôt.

Il fallait donc renforcer l’adhésion à une croyance commune pour maintenir la cohésion du groupe.

Exprimer ce qu’est et surtout ce que n’est pas la culture.

J’ai également noté que la culture n’était pas vue exactement de la même manière par tout le monde et que parfois il y avait certains quiproquos.

Quelques exemples concrets :

  • Le terme “famille” était souvent utilisé et posait problème. Dans une famille, on soutient les plus faibles. On est unis coûte que coûte. Or, Waalaxy est une entreprise. Les talents peu performants n’ont pas leur place chez nous sur le long terme. Je préfère donc l’image d’une équipe de sport : on s’amuse, on passe du bon temps, on s’apprécie. Mais si on n’est pas bon, on ne reste pas titulaire.
  • Le terme “bonheur”. Le bonheur est une quête personnelle. L’entreprise peut aider à créer un contexte favorable à l’épanouissement personnel mais sa mission ne peut pas être le bonheur des salariés.
  • L’honnêteté est une de nos valeurs, pas la transparence. On partage énormément d’informations avec les équipes et en général on essaie de garder une certaine transparence. Mais ce n’est ni une mission de l’entreprise, ni une valeur.

Une culture n’est jamais acquise.

C’est là que le mot “culture” prend tout son sens.

Les fondateurs plantent la graine d’une culture. Les actions de leur entreprise apportent un terreau favorable.

Mais ce sont les talents qui la composent qui chaque jour arrosent et entretiennent la plante.

Si on arrête de l’arroser, elle meurt.

Or, faire de la prospection automatisée sur Linkedin n’anime personne chez nous. Ce qui nous anime ce sont les bons moments passés ensemble et le terrain de jeu incroyable que nous offre le modèle du SaaS BtoB.

Notre boite tient par sa culture forte.

Il était important pour nous de rappeler ça à l’équipe en ancrant nos valeurs dans un support écrit et de leur montrer qu’on prenait ça très au sérieux. Que rien n’est jamais acquis et qu’il appartient à chacun de continuer à contribuer à cette culture, en portant ses valeurs chaque jour mais aussi en se faisant gardien, on remontant les dysfonctionnements potentiels et en apportant de nouvelles idées pour la faire perdurer dans la croissance et l’adversité.

Notre méthologie pour définir notre culture.

Avant d’entrer dans le détail de notre méthodologie (absolument pas originale) pour construire notre Deck Culture, je voudrais apporter des précisions.

Tout ce qui est présenté dans cette article est le fruit de nombreuses itérations. On n’a pas lancé la boîte en se disant “nos 6 valeurs seront celles-là et la culture ressemblera à ça”.

Non. Et d’ailleurs le début de notre aventure est assez éloigné de nos valeurs actuelles.

J’ajoute également qu’une culture découle des fondateurs. Ce sont eux qui la portent et l’incarnent en premier.

Si tu penses que ta culture c’est le fun mais qu’en tant que CEO tu ne restes pas à l‘afterwork et que tes talents ont peur de te faire une blague, c’est que tes valeurs sont ailleurs. 😅

La méthodo :

  1. Interroger les équipes. La première chose à été d’interroger les équipes via un formulaire anonyme en demandant :
  • Selon toi, quelles sont nos 5 valeurs principales ?
  • Donne une phrase ou un exemple concret qui décrit chaque valeur
  • Est ce que tu te retrouves dans ces valeurs ?

2. Basé sur ces retours, j’ai regroupé les synonymes pour construire des groupes de valeurs. Je suis arrivé d’abord à 6 groupes, que j’ai réussi à réduire à 5 (en forcant un peu).
Pour définir nos valeurs, j’ai essayé de suivre le principe d’Oussama Ammar (surement piqué ailleurs) qui dit qu’une valeur dans une culture doit être clivante, c’est à dire qu’elle n’a de sens que si une entreprise peut avoir la valeur opposée.
Par exemple “dynanisme” ou “innovation” ne sont pas des valeurs. Aucune boite n’aura comme valeur “lenteur” ou “conservatisme”.

C’est une des parties les plus difficile de l’exercice mais c’est fondamental. Pour que la culture ait son effet fédérateur et créé un sentiment d’appartenance, elle doit être clivante.

Par exemple, la “bienveillance”, une valeur fondatrice chez nous, joue avec la limite. Aucune entreprise n’aura comme valeur “malveillance”. Mais j’ai choisi de l’opposer à “compétition”.

3. Miser sur les phrases plus que les valeurs.

Les valeurs ont le problème de laisser libre à de l’interprétation. En m’inspirant du Deck Culture de Germinal j’ai opté pour définir les valeurs par une phrase concrète, donnant une intérprétation de la valeur.

“Bienveillance” devient “J’agis avec de bonnes intentions” ou “Ownership” devient “J’ai le pouvoir de maximiser la valeur que j’apporte”.

4. Définir les limites. Pour chaque valeur ambigue, comme la transparence, le bonheur ou le terme “famille”, j’ai ajouté une limite. Il s’agit d’expliquer ce que la valeur n’est pas ou de mettre en avant une limite/ un risque de cette valeur.

Par exemple, la bienveillance peut amener à l’hypocrisie ou au secret en ne disant pas les choses par peur de blesser. A l’inverse, l’honnêteté doit chercher à améliorer les choses et pas à critiquer pour blesser.

5. Présenter à l’équipe et itérer.

Lors d’une réunion d’équipe, j’ai présenté le doc complet à l’équipe.

Individuellement, j’ai eu des retours et ou vu des subtilités. Par exemple, “Honnêteté” avait été regroupé avec “Ownership” pour réduire à 5 groupes de valeurs. Mais on m’a signalé que cette valeur était dans l’ADN profond de la boite et la reléguer au second plan n’envoyait pas le bon message.

Ou encore, dans la première version, on avait une valeur “Fun” à la place de “Insolence”. Quelques semaines plus tard, j’ai réalisé que c’était plus fort que juste s’amuser. C’était une manière provoquante et rebelle de s’amuser, qui joue avec les normes sociales et casse les codes pour revendiquer une autre manière de vivre.

Insolence, c’était le bon terme. 😎

Conclusion

Une culture est un élément central d’une entreprise, en particulier dans l’univers chaotique des startups. Elle nait par les fondateurs mais elle perdure par les talents.

C’est un processus itératif. C’est un organisme vivant qui rejète certaines greffes et évolue en permanence. Il faut le nourir, le dresser et lui porter de l’attention pour qu’il continue de grandir.

Car rien n’est acquis.

PS: on recrute par ici.

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